mardi 30 décembre 2014

Y-a-t-il réellement une disruption du consulting ? Attention gros Post cc @Jegoun

Attaqué sur mon flanc gauche, la blogroll pendante, je suis bien obligé à m'attaquer au sujet trendy du moment pour renflouer de contenu ce désertique blog en cette fin d'année 2014.

Ils lancent si bien le débat qu'il faut tout d'abord bien écouter cette conférence brillante.



Il est aussi nécessaire de s'imprégner de ce storify fort documenté !

Je me suis fait comme d'habitude piéger en achetant deux des livres cités en espérant trouver le temps à leur nécessaire lecture.

Merci à leurs auteurs et conférenciers !

Rentrons maintenant dans l'analyse du propos.

La thèse est ici grosso modo qu'à l'instar de nombreux autres secteurs dont celui en premier lieu des produits culturels et des médias, mais aussi du luxe, du tourisme et bien d'autres encore, le métier de consultant serait aussi en phase de disruption en quelque sorte de crise de tranformation due en partie aux progrès des technologies numériques.

En d'autres termes, si l'intelligence et l'information tendent à devenir une commodité - d'une part, car il y a de plus en plus de gens éduqués sur terre et d'autre part parce que nous avons Google - il existe une profession qui pense encore que ces deux ressources fondamentales sont rares : les consultants ! Autrefois, voie royale de l'ascension sociale, elle est aujourd'hui cible de toutes les moqueries : qui n'a jamais ri à une blague sur le consultant et ses PowerPoint ? De nombreuses startups attaquent cette opportunité de marché en réduisant le prix du consulting, en transformant ses modes de distribution, en spécialisant et en supprimant les intermédiaires, le consulting est à l'aube d'une transformation majeure dont on voit les prémices en Europe.

Les arguments où il y forcément consensus sont ceux habituels :
 => des progrès exponentiels de la loi de Gordon Moore qui met sous tension tellement de métiers aujourd'hui,
 => des évolutions réglementaires successives qui ont provoqué les transformations violentes et rapides de ces métiers,
 => du fait que les blagues sur les consultants sont toujours aussi poilantes ("Le jeu est le moyen le plus rapide pour se ruiner, les consultants c'est le moyen le plus sûr") comme celles sur les joueurs d'échecs ("Un journaliste interviewe Boris Spassky, fraîchement marié: -Vous préférez avoir une dame de plus sur l'échiquier ou au lit? -Ca dépend de la position...")

On pourrait dire que cette analyse est reproductible à l'infini pour nombre de métiers. Quitte à titiller son éléphantesque éminence, avec une référence échiquéenne encore agaçante, la messe était franchement dite depuis 1997.
Quand Deep Blue, programme conçu par IBM, vainquit Garry Kasparov en 1997, The Economist titra, prémonitoire : "Si votre métier ressemble à celui de joueur d'échecs, changez de métier !"
Le numérique est en train d'automatiser une nouvelle catégorie de tâches jusque-là épargnées: les activités impliquant une capacité à raisonner, à enchaîner une série d'actions logiques. Les formations modernes doivent se concentrer sur la part irréductiblement humaine des métiers.
A ce titre, on peut aussi déjà annoncer l'arrivée des barbares sur de nombreux métiers : les designers, les monteurs, les architectes, les médeçins......L'exercice est en fait assez facile car dû finalement à la grande tendance de l'automation qui va dégommer tellement de jobs.

Mais il y a aussi d'autre tendances qui ont joué et jouent encore sur le consulting et des aspects complémentaires qui pourraient donner un autre visage ou une autre prémonition aux phénomènes en cours.

Le premier est celui de la concentration massive de l'industrie du logiciel qui est devenue si peu créative. Le nombre de solutions progicielles à un domaine se réduit à peau de chagrin. Quand on compare les années 80, 90 à maintenant, c'est affolant. Tout se réduit à deux ou trois solutions possibles  pour de nombreux domaines fonctionnels comme SAP, ORACLE, MICROSOFT ou INFOR ou ADOBE et point à la ligne. Le logiciel propriétaire, autre que tout le camp open, se réduit à des situations quasi monopolistiques ou oligopolistiques pour tellement de domaines. En fait, les grands prédateurs que sont ces sociétés de softwares rachètent vite des solutions pour les concentrer et les unifier. Le domaine le plus emblématique de cette tendance est la comptabilité. En dehors de SAP et d'ORACLE, point de salut.

Ceci a une conséquence sur une uniformisation des processus et une technicisation accrue de ces domaines autour des solutions en question. Les projets ERP ont été ainsi les vaches à lait des grandes années du consulting des années 90 et 2000 ! Quelle gabegie ! Tous les grands groupes, faute d'alternatives, se sont mis à implémenter ces solutions à l'aide d'équipes pléthoriques de consultants intégrateurs. L'industrie du logiciel professionnel a été en quelque sorte une grande alliée des sociétés de conseils. Cette tendance joue toujours en faveur du consulting traditionnel mais reste maintenant plus limitée car le bac à sables des implémentations s'est avec le temps appauvri. Il n'en reste pas moins qu'être un consultant SAP peut être maintenant un métier à vie et est un des rares jobs sur terre où l'on peut envisager l'avenir avec sérénité.

L'autre tendance lourde qui joue aussi est celle des principes de précaution et de l'aversion au risque. Son institutionnalisation dans la Constitution mais aussi son implémentation comme un principe de gouvernance et de comptabilisation ont créé un besoin d'expertise démoniaque. Ceci va de pair d'ailleurs aussi avec la surnormalisation de la société.
C'est pour cela en partie que nous avons besoin de tant d'experts aujourd'hui. Ainsi, à mon sens, mêmes les plateformes comme Clarity bénéficient de cette tendance de besoin d'avis d'experts. Le phénomène est tellement significatif qu'il oblige à tous à se présenter comme expert de plein de trucs ou d'éviter de se présenter comme expert de peur de ne plus pouvoir devenir cadre dirigeant.

Le phénomène s'amplifie car toutes les boites veulent des avis d'experts sur toutes les décisions pour se couvrir et éviter les risques d'erreurs. Une société veut installer un nouveau service logiciel comme Inbox, si facile et si pratique à mettre en place, et PAM, il leur faut un avis d'expert.

Mais ce développement de l'expertise à tout va n'est-il pas finalement un phénomène un peu ridicule ? L'exemple récent le plus frappant est le prix du pétrole.

Aucun expert du monde n'a prévu cette chute du prix du pétrole et tous les experts ont prédit le contraire. Quelle rigolade quand on y pense ! Peut-on même être encore un expert de quelque chose tellement tout devient compliqué ?

On est entouré d'experts qui se trompent tout le temps.

La troisième tendance, proche de la première, est l'abrutisation du consulting et du cadre en général du fait de la powerpointisation de la pensée corporate. Pas la peine de développer, c'est déjà dans de nombreuses littératures. Une seule solution : développer les alternatives.

Mais tout ceci fait-il une disruption ? 

Je pense plutôt que ce secteur va de nouveau connaître une adaptation rapide dans la douleur de ses méthodes et de ses services. Les moyens d'adaptation de ces cohortes de consultants pourraient être ainsi :

=> de faire appel à des expertises internes et externes et d'être capables de faire travailler des ressources plus seniors en collaboration avec leur staff internes. Donc plus d'appel à sous-traitances, plus de coopération et plus de diversifications des profils.

=> d'intégrer de nouveaux services de digital marketing, web SEO et SEM à côté des services traditionnels en favorisant des méthodologies innovantes et rapides,

=> de développer de nouveaux domaines de services que sont l'agilité, le new IT, le cloud et le mock up. Pour cela, il ne suffit pas de rebaptiser des hordes d'intégrateurs en consultants numériques, il faut changer ! Au même titre que les DSI internes devront changer.

=> de se concentrer sur l'innovation, le changement et l'attractivité du sens des missions. Il ne s'agit plus seulement d'implémenter des solutions standards.

=> d'aller vers le risque plutôt que sur le chemin habituel inverse. C'est grâce au risque que l'on créera de la valeur ! Et pour les sociétés de conseil aussi.

Ainsi, la menace d'un airbnb des cerveaux, dans une tendance low cost d'ailleurs aussi, me semble un peu exagérée, à la limite du caricatural. Je me demande même si ce n'est pas le phénomène inverse qui se produit, celui des prémices d'une fin de l'expertise à tout va où tout le monde se prétend expert de quelque chose et qui réclame plutôt maintenant de la distance face à l'expertise. En fait, tout va si vite et est si entrelacé que l'on est expert uniquement de trucs périmés. Les experts de la pétrolette ne sortent plus du bois d'ailleurs, car ils sont bien les premiers précieux ridicules de cette tendance.

12 commentaires:

  1. Putain ! Ca c'est du billet qui mériterait une réponse circonstanciée que je vais résumer en trois points :

    1. Il y a toujours besoin d'une main d'oeuvre ajustable, celle représentée par les consultants. Les décideurs ont besoin, aussi, de ces compétences externes pour faire le tri dans ce que leur proposent les cadres. Ainsi, le consulting "bas de gamme" a de l'avenir devant lui.
    2. Des consultants sont bons (j'en ai fait partie, dans mon domaine, j'ai un client à qui j'étais facturé 1200 euros par jour, ce qui est énorme dans le domaine, mais il en redemandait, ce qui veut dire que je lui rapportais plus...).
    3. Le type de la vidéo en parle un peu mais le bon consultant, le bon expert, est un expert généraliste. Dans le conseil, tu trouveras le type incompétent mais avec une tête bien faite, capable de faire de beaux Powerpoint mais aussi des experts très doués dans un domaine, le spécialiste Oracle, SAP (tu en parles) mais très peu capables de faire la jonction et capables d'appréhender réellement bien des domaines qu'ils ne connaissent pas.

    Le type dans le micro, par exemple, cite des exemples auxquels il ne comprend rien, comme ces concurrents des hôtels avec les mecs qui proposent des chambres chez l'habitant. Il déblatère à un sujet auquel il ne comprend rien (il dit "c'est arrivé en moins de cinq ans" alors que depuis l'explosion d'internet ça existe). Ce mec mérite des baffes. il est nul.

    Alors, je vais citer un domaine, le mien :

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    1. Le type de la vidéo a le mérite d'ouvrir plein de portes, je trouve très stimulant comme toutes les vidéos sectorielles de The Family. En plus, ils servent du pinard.

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    2. Celui des distributeurs de billets... Il y a des gens très bien qui connaissent à merveille les machines, on n'a plus besoin de consultants ou d'experts (sauf pour passer les gaps technologiques). Mais, sur une machine, il y a en moyenne un incident par mois. Environ un retrait sur 4 ou 5000 pour lequel on ne sait pas si le client a eu le pognon. Quand une banque à 5 ou 10000 machines, cela fait énormément de cas à traiter, ça coûte la peau des fesses, réellement. Traiter les réclamations des clients, les litiges entre les banques, étudier les journaux d'anomalies des machines,.. L'expert en distributeur de billets va s'intéresser aux 4999 retraits qui se passent bien. Il faut donc des "experts généralistes", qui appréhendent la chaîne de traitement de bout en bout, de l'incident technique qui peut survenir sur l'automate jusqu'au logiciel de traitement des litiges qui nécessite des échanges de données informatiques avec Visa et Mastercard... Ils ne sont spécialistes de rien : ils sont spécialistes de tout.

      C'est un peu mon job.

      Mais c'est aussi le job du consultant, l'expert indépendant, le débutant sorti de grandes écoles, qui saura appréhender chacun des domaines au niveau nécessaire...

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    3. C'est quand même flippant comme stat : environ un retrait sur 4000 ou 5000, on ne sait pas si le client a eu le pognon... wharch

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    4. Ben non. S'il y a trop de sous dans la machine on rembourse. Mais ça fait des traitements manuels et ça coûte cher.

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  2. +1 sur ton idée de la main d'oeuvre ajustable.
    +1 sur ton idée de la qualité.

    +10 sur le côté médeçin généraliste. Oui cela mérite approfondissement.

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  3. Un excellent post sur un phénomène actuel qui touche beaucoup de professions: l'automatisation des tâches répétitives. Un sujet passionnant! On peut s'interroger sur la raison pour laquelle tant de métiers sont devenus des routines. Cette question se pose d'autant plus pour le métier de conseil dont l'un des aspects le plus important est la génération d'idées pour résourdre des problèmes. Les réponses peuvent se trouver aussi bien du côté des demandeurs que des pourvoyeurs de ce service. La routine rassure et peut protéger de certains risques. De toute évidence, elle ne permet pas de se prémunir du risque de disruption objet du débat. Bref, rappelons cette citation de Conficius,
    "By three methods may we evolve: First, by reflection, which is noblest; Second, by imitation, which is easiest; and third by experience, which is the bitterest".
    J'ai peur que le métier de conseil, comme beaucoup d'autres, se soit laissé entraîner dans la troisième méthode...

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  4. Déjà l'imitation, c'est sûr. Il y a tellement de "Me Too" dans ce domaine. C'est assez facile d'ailleurs de créer une société de conseil, il suffit de débaucher quelques stars d'un cabinet et d'imiter. Ce, d'autant plus que powerpoint est l'unique outil. Beaucoup de scissions du consulting viennent de cela. Et du coup, effectivemment tout s'est endormi par expérience. Ce qui est aussi paradoxal dans la mesure où ces cabinets prônent le changement brutal chez leur clientèle mais s'appliquent assez peu à aux mêmes la lotion..

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  5. Très bon billet ! Les cabinets de conseils vont devoir revoir leur modèle et surtout leur recrutement afin de proposer de nouvelles compétences... On parle beaucoup du rapprochement des grands groupes et des startups ou sociétés du numérique pour favoriser l'agilité et l'innovation. Peut-être les consultants devraient être les premiers à s'inspirer de ce mouvement et se nourrir de ces nouvelles méthodes et schémas de pensées. Je ne suis pas certaine que cette transition sera pour autant rapide car les clients du consulting, donc certains ne sont pas encore au fait des changements à venir avec la révolution numérique, risquent de les maintenir dans cet état intermédiaire. Du coup, peut-on penser que, dans l'attente de cette réforme, les recommandations qui sont procurées par les cabinets de conseils à leur clients, notamment en matière de numérique sont de qualité et adaptées ?

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  6. Effectivemment, je m'interroge de plus en plus sur la pertinence des recommandations de cabinets, qui me paraissent eux même largués. Un cabinet crédible devrait déjà être lui même transformé. D'où une discussion intéressante, comment se caractérise un cabinet de consulting déjà tranformé ?

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